Pour une république citoyenne

Pour une République citoyenne
Suzanne CITRON Historienne, Libération, 24 septembre 2014

TRIBUNE

La crise de notre système politique impose un big bang institutionnel. Mais elle exige aussi une réflexion critique sur les ambiguïtés d’une culture républicaine qui a perpétué les institutions d’un Etat d’inspiration napoléonienne.

Pour les républicains opportunistes des années 1880, la République, sous couvert des valeurs de la Révolution, établissait une cohérence ontologique entre la Nation, l’Etat, l’Administration : la Nation, essence métahistorique, source unique d’une souveraineté déléguée aux élus du suffrage universel (masculin), l’Etat, vecteur de cette souveraineté, dont l’Administration assurait la bonne marche. Persuadés de parachever la Révolution par les vertus émancipatrices d’une instruction populaire généralisée et par la substitution d’une «élite de l’esprit» à l’aristocratie de naissance, ils cautionnèrent, par crainte d’une restauration monarchique, les structures centralisées et la verticalité autoritaire de l’Etat recueilli du Second Empire.

Ils mirent en place parallèlement un système scolaire dual entériné par le cloisonnement entre un enseignement primaire ouvert à tous et un enseignement secondaire héritier des lycées, voie d’accès d’une petite minorité aux places d’encadrement de la société, dont le baccalauréat était le symbolique sésame. L’édifice impérial des Grandes Ecoles et des Grands Corps de l’Etat subsista. Une méritocratie de hauts fonctionnaires sélectionnés par la réussite scolaire coiffa une administration «républicaine» façonnée sous l’Empire, avec son découpage en directions et en bureaux, sa culture hiérarchique formalisée dans les injonctions de circulaires insoucieuses de la diversité et ignorantes des initiatives du terrain.

Cet édifice a survécu à la débâcle de juin 1940 et à l’Occupation, en dépit de l’allégeance des Grands Corps et de la haute administration au régime de Vichy. Les menaces de dissolution de l’Etat en mai 1958 et en mai 1968 l’ont laissé intact. Au début des années 70, les propositions du club Jean-Moulin pour un Etat citoyen ne furent pas entendues. Les lois de décentralisation de 1982 sont venues donner de l’air mais n’ont pas mis fin au dispositif centralisé. Les relais déconcentrés aggravèrent la complexité du «millefeuille». La création de l’ENA, à la Libération, loin de susciter un nouveau type de pensée citoyenne, s’est intégrée au système Grandes Ecoles – Grands Corps et a engendré une superaristocratie à la tête de l’Etat.

Cependant, durant les Trente Glorieuses, le sentiment que la République était l’affaire de tous, la lecture du monde à travers l’espérance syndicale, socialiste, communiste, ont, jusque dans les années 80, continué d’irriguer la société en dépit de l’incapacité du système éducatif à positionner l’enseignement technique ou professionnel sur un plan d’égalité de statut et de prestige avec l’enseignement général, entretenant dans l’imaginaire français la dévalorisation des capacités et des métiers manuels.

Paradoxalement, l’extension de la scolarité obligatoire à 16 ans et la généralisation de l’enseignement secondaire par le collège, sans réforme des structures et des contenus hérités des lycées, furent le point de départ d’une dérive du pacte originel. Le collège a dévié vers un système de tri des «meilleurs» et de largage de ceux qui ne «suivent» pas un système de savoirs encyclopédiques. Au tournant du siècle, l’évolution du contexte – crise économique, nouvelles révolutions technologiques, financiarisation du capitalisme, désindustrialisation – a réduit le poids démographique et politique de la classe ouvrière et amenuisé les offres d’emplois pour les sans-diplômes.

Ces mêmes décennies ont vu l’esprit de Service public qui, au lendemain de la Libération, inspirait une minorité active de hauts fonctionnaires, se dévoyer peu à peu. Les interférences entre l’appareil d’Etat et les grandes structures financières privées ou parapubliques ont été favorisées par la fréquence des pantouflages de membres des Grands Corps ou de lauréats des Grandes Ecoles. Une culture du chalenge individuel et de la carrière personnelle s’est diffusée, combinée à un management technocratique et à la prise de pouvoir des «communicants». Porteurs d’un colbertisme traditionnel, mâtiné de références néolibérales, énarques et polytechniciens n’ont ni les outils intellectuels ni la volonté pour réinventer un service public du XXIe siècle et définir les conditions d’accès au pouvoir d’une élite diversifiée. Comme l’a souligné le sociologue Ezra Suleiman, cette élite endogame, dont on ne sort plus, est une particularité française qu’on ne retrouve dans aucun autre pays.

Par ailleurs, le cumul des mandats dans l’espace et dans le temps a fait émerger une nomenklatura de professionnels de la politique, alternant pouvoir et opposition, enfermée dans des logiques de parti et d’Etat.

L’étroitesse de ce milieu a multiplié les effets pervers d’un système de privilèges et de petites et grandes sinécures : retraites des parlementaires, train de vie des sénateurs ou habitude de «recaser» une personnalité politique dans une candidature élective ou par une nomination dans quelque Haut Conseil. Le big bang institutionnel devra donc non seulement réduire le nombre des députés et sénateurs, mais mettre à l’ordre du jour une refondation des assises éthiques de l’Etat, par l’instauration ou la restauration d’une morale publique et civique. Le PS a timidement amorcé une entreprise de transparence. Mais tout reste à faire pour assurer l’éthique d’une République vraiment citoyenne.

Celle-ci exigerait, aussi, un nouveau style de relations humaines sous les dorures des palais de la République. On rêve d’une sobriété et d’une simplicité conviviales telles qu’entrevues dans la série Borgen. Les gouvernants d’une vraie démocratie ne sauraient avoir besoin d’un serviteur pour ouvrir les portes des voitures ou déployer un parapluie.

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